Je suis tombé de ma chaise en lisant les gros titres du journal Le Monde : “La surveillance d’Internet « justifiée » pour une majorité de Français”
Lorsque l’on lit l’article, on comprend que cela est un peu plus nuancé, en effet 59 % des sondés estiment que la surveillance étatique « permet de lutter efficacement contre les organisations criminelles ». J’insiste bien sur “sondés”, un sondage reste basé sur un échantillonnage, censé être représentatif, de la société. Cela ne veut pas dire pour autant que les résultats seraient identiques si l’on formulait un référendum sur le sujet.
Essayons de nous rassurer par quelques nuances :
- 70 % des sondés pensent que cette surveillance « met gravement en danger les libertés individuelles »
- 81 % des sondés pensent que les lois sur la confidentialité des échanges sur Internet ne sont « pas assez restrictives »
- 71 % expriment leur « inquiétude » sur cette collecte d’informations. Comme quoi, le “si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre”, ne permet pas de rassurer tout le monde.
On constate aussi une forte prise de conscience des sondés sur cette “jungle” qu’est Internet et les abus possibles des nouvelles technologies :
- 48 % des sondés pensent que « les innovations technologiques empêchent désormais la confidentialité des échanges sur Internet ».
- La majorité des sondés est consciente d’être épié et que leur messages sont enregistrés et stockés par les responsables de cette surveillance : 64 % le pensent pour les appels téléphoniques, 74 % pour les SMS, 80 % pour les emails.
Je ne peux m’empêcher d’entendre du fatalisme dans ces propos. Oui, les perspectives futures ne sont pas rassurantes. Oui, tout le monde, même les experts en sécurité, est effaré :
- Par la quantité d’information captée, analysée et stockée par les professionnels du renseignement.
- Par le niveau de complicité de certains organismes comme le NIST ou certaines entreprises comme RSA, Microsoft, Google ou Facebook dans cette surveillance
Mais là où je m’attendais à voir une réaction virulente des populations suite à cette découverte, je constate dans ce sondage une certaine résignation. Non, je ne suis pas d’accord avec le fait que « les innovations technologiques empêchent désormais la confidentialité des échanges sur Internet ».
Certaines innovations luttent pour rééquilibrer la balance :
Regardez comme le concept du Proof of Work, initié par Bitcoin, est repris par une multitude de projets cherchant à augmenter la décentralisation et empêcher la censure. Je pense notamment à Twister ou a NameCoin.
Constatez à quel point le “jardin secret” revient à la mode. Les applications mettant en avant la vie privée et le partage en petit comité ont le vent en poupe comme jamais. Ces principes sont en totale opposition avec cette incitation au partage publique comme le faisait jusqu’alors Twitter ou Facebook. Regardez donc Confide, Marco Polo ou encore Secret.
Bien sûr, certaines de ces applications ne vous protègent pas vraiment, soient parce qu’elles sont programmées par des ignares en sécurité, soit parce que les intentions cachées de leurs auteurs sont bien plus perfides que ce qu’ils veulent bien admettre en public *cough* voir les deux comme pour SnapChat *cough*. On ne peut pour autant nier l’intérêt du grand public pour les fonctionnalités orientées sécurité et vie privée.
Certaines entreprises font de réels efforts pour amener l’état de l’art de la cryptographie et du chiffrement “de bout en bout” accessible pour tous. Je pense notamment à SilentCircle ou a Telegram.
Côté matériel aussi, cela progresse, je pense notamment au Blackphone. Son general manager, Toby Weir-Jones, les pieds sur terre, a déclaré il y a peu :
We’ve never made the claim we’re offering an NSA-proof device, but we are offering a tool that makes a huge difference to someone who’s using no privacy tools at all
Oui, aucune sécurité n’est parfaite et absolue. Oui, nos agences de renseignement continueront de tricher, tromper, investir dans de nouvelles méthodes pour nous surveiller. Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’avouer vaincu.
Et même si tel outil possède finalement un zero-day activement exploité, ou si tel autre collabore avec l’état et divulgue vos informations, c’est un baton de plus dans leur roue pour freiner cet état omniscient qui “inquiète” 71 % des sondés.